Quand le réformateur montre la Lune, le conservateur regarde le doigt. C'est la leçon que l'on pourrait tirer des débats sur les ordonnances travail. Au moment où, comme la plupart des autres pays européens avant elle, la France veut engager les réformes en faveur de l'emploi, les vertueux défenseurs des acquis se dressent le poing levé.
Ils ont des arguments d'évidence : « Vous voulez nous faire croire que vous allez réduire le chômage en augmentant les licenciements ? » C'est en vérité un sophisme. Dans une économie dynamique, avec un marché du travail bien huilé, des millions de salariés peuvent quitter chaque année leur emploi sans être pourtant au chômage parce qu'ils prennent immédiatement un autre poste. Sophisme doublé d'une usurpation de bons sentiments, comme si la défense de la justice était du côté des adversaires de la réforme et l'absence de compassion dans le camp de ses partisans.

Double peine française

Or c'est l'inverse. Ce qui est vraiment injuste depuis plusieurs décennies, c'est l'exception française en matière d'emploi : des millions de femmes et d'hommes, de jeunes en particulier, condamnés au chômage et à la précarité. C'est pourtant cette exception que défendent de facto les avocats du statu quo. Avec de bons sentiments, on fait une mauvaise politique de l'emploi.
Ne rien changer, c'est demeurer avec un chômage de masse plus élevé que les autres grands pays développés. Et avec un marché du travail plus fortement « dualisé » entre les titulaires d'un emploi permanent et les autres, salariés dans des emplois temporaires ou chômeurs de longue durée.
Record de chômage et record de précarité : c'est la double peine française qui touche de manière écrasante une catégorie et une seule, les travailleurs faiblement qualifiés et d'abord les jeunes. Ce sont eux aujourd'hui les damnés de la terre. Et qui est leur avocat ? Où est le syndicat ou le parti des chômeurs et des précaires ?

Réglementation plus rigide

Bien sûr, la réforme du marché du travail ne réglera pas tout. Dans l'ordre des facteurs, elle vient bien après, par exemple, la question du coût excessif du travail non qualifié. Mais pour s'attaquer à la triste exception française du chômage et de la précarité, il faut déverrouiller un à un les freins à l'emploi. Et le fonctionnement du marché du travail en est un.
La France a une réglementation plus rigide que la moyenne des pays de l'OCDE. Cela favorise le travail précaire (stages, intérim, CDD) et accentue le chômage de longue durée. En allégeant les procédures, on fluidifie le marché du travail, facilitant la conversion des emplois temporaires en CDI et le retour à l'emploi des chômeurs. Ajoutons que c'est beaucoup plus en phase avec les rapidités d'évolution à l'oeuvre dans l'économie compte tenu des ruptures de technologies et de modèles d'affaire qui bouleversent incessamment les entreprises et les secteurs.

Vers plus de flexibilité

Fort de ce constat, doit-on se contenter de déréglementer le marché du travail ? L'ultralibéralisme serait précisément cela. Ce n'est pas l'option des pays scandinaves, de l'Allemagne ou des réformes Macron, dont le principe est : davantage de flexibilité pour l'entreprise mais davantage de sécurité pour les travailleurs. Comment ? En augmentant le niveau des indemnités de licenciement et en accroissant les moyens de reclassement et de formation des salariés pour retrouver un emploi.
Aurait-on pu aller plus loin dans la réforme du marché du travail ? Oui, certainement : par exemple par un changement plus systémique dont le contrat de travail unique serait la pierre angulaire. Mais dans ce domaine, mieux vaut la vraie réforme tout de suite que la grande révolution jamais. Quoi qu'il en soit, une chose est sûre : la vraie bataille pour la justice, ce n'est pas de maintenir à tout prix le Code mais de développer à toute force le travail.
Denis Olivennes
Tribune publiée aussi dans les Echos

Agence Le Salarié

Agence pour l'emploi.

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